Qui mieux qu'un ancien migrant bien intégré pour initier de jeunes migrants à la langue française ?

18 Octobre 2015, 08:56am

Publié par Thierry Meunier

"Ils viennent d'Afghanistan, du Mali ou de Guinée Conakry... Le melting-pot est fait de chocs culturels et d'histoires personnelles indicibles" - Photo : La Montagne
"Ils viennent d'Afghanistan, du Mali ou de Guinée Conakry... Le melting-pot est fait de chocs culturels et d'histoires personnelles indicibles" - Photo : La Montagne
C'est presqu'une gageure que de vouloir, en quelques semaines seulement, apprendre le français aux jeunes expatriés qui nous sont confiés : pour faciliter l'apprentissage d'un premier "bagage" pratico-pratique indispensable à leur intégration, nous avons mobilisé les compétences d'une jeune femme, ancienne migrante elle-même aujourd'hui bien intégrée. Une pédagogie d'urgence fondée sur une communauté de destin.

Le statut juridique de ces adolescents est lapidaire : ils sont "mineurs isolés étrangers". Trois mots pour des itinéraires très divers, souvent tragiques, avec un point commun, l'expatriation et un point chute provisoire : le Foyer départemental de l'enfance de l'Allier.

Lorsqu'ils arrivent à Moulins, sur décision du Procureur de la République et des services départementaux de protection des mineurs qui en assument la charge financière, leur reconstruction commence certes par un bilan de santé et de niveau scolaire. Elle commence surtout par un travail d'apprivoisement mutuel.

Un sas de transition

Ils viennent d'Afghanistan, du Mali ou de Guinée Conakry... Le melting-pot est fait de chocs culturels et d'histoires personnelles indicibles. L'un n'a jamais tenu de crayon, l'autre a vu son frère être égorgé par les Talibans... Et les voilà parmi des ados du Bourbonnais qui eux mêmes ont vécu d'autres drames, dans un milieu social et familial souvent carencé !

L'autorité parentale de ces enfants déracinés a été transférée au Conseil départemental, le temps de trouver une solution plus pérenne. Trois mois, c'est très court. Pour autant, nous avons voulu que ce ne soit pas un simple séjour d'attente. Nous avons souhaité en faire un sas de décompression et surtout de transition. Et pour cela, comme une évidence, la priorité, c'est l'apprentissage du français.

Nouvelle vie sociale

Naturellement, nous sommes lucides : en quelques semaines, il est simplement question d'apprendre et de maîtriser les quelques rudiments indispensables pour se débrouiller dans la vie de tous les jours. Modeste ? Voire. Car c'est le passage obligé de leur nouvelle vie sociale et de leur intégration. N'oublions pas de tous ces jeunes sont allophones, autrement dit, ils ne pratiquent que leur langue maternelle, qui n'est pas forcément la même pour des expatriés venus d'un même pays !

Pour mettre en place cet apprentissage, nous avons eu l'intuition, qui s'est révélée efficace, de faire appel à une jeune femme aujourd'hui bien intégrée dans notre région mais qui a vécu elle-même l'expérience de l'expatriation voilà quelques années. Lucie - c'est son nom - a joué le jeu avec cœur, "pour rendre à la France ce qu'elle en avait reçu".

Relation de confiance

Cette communauté de destin a beaucoup aidé le courant à passer, à établir d'emblée une relation de confiance. Il a aussi permis de construire un programme pédagogie approprié : les rudiments de la langue mais également les valeurs, les codes culturels et sociaux sans lesquels l'exclusion risque de l'emporter.

Lire l'heure, pouvoir se repérer dans la ville ou dans un lieu public, maîtriser les codes de la politesse et de la civilité, comprendre le mode de vie "à la française" : une multitude de petites choses qui leur permettront d'être déjà "en voie d'inclusion" par le langage et le comportement, lorsqu'ils nous quitteront, pour être accueillis par le Foyer des jeunes travailleurs de Moulins par exemple.

"Les Lucie ne manquent pas"

L'éducation spécialisée, singulièrement auprès d'un public de jeunes migrants, parfois traumatisés par ce qu'ils ont vécu, ce n'est pas seulement une affaire de bonne volonté. Le bénévolat est souvent utile. En l'occurrence, il n'est pas suffisant. C'est pourquoi je crois que, si notre expérience est née du hasard, de la rencontre avec Lucie, elle n'en est pas moins duplicable.

Il suffit de repérer d'anciens migrants devenus francophiles, qui veulent être utiles, qui savent par expérience la galère de l'expatriation, qui ont des capacités pédagogiques naturellement ou peuvent les acquérir, et qui, surtout, ressentent, comme Lucie, l'envie et le besoin de transmettre à leur tour ce qu'ils ont reçu : la langue, la culture, les valeurs sociales, laïques, démocratiques et républicaines qui sont désormais les leurs.

Nous espérons que Lucie puisse devenir vacataire de notre foyer. C'est une jeune femme exceptionnelle mais, j'en suis persuadé, les Lucie ne manquent pas pour suivre son exemple !

Thierry Meunier, Directeur du Foyer départemental de l'enfance de l'Allier.

Pour cette initiative innovante, le Foyer départemental de l'enfance de l'Allier s'est vu décerner le prix Territoria d'or 2015 parrainé par l'UNICEF.

> Pour en savoir plus sur l'organisation et les actions du foyer départemental de l'enfance de l'Allier

> Lire dans la journal La Montagne : "Le foyer départemental de l'enfance à Moulins propose des cours d'alphabétisation aux réfugiés".

> Pour en savoir plus sur les actions de l'UNICEF.

"Trois mois, c'est très court. Pour autant, nous avons voulu que ce ne soit pas un simple séjour d'attente. Nous avons souhaité en faire un sas de décompression et surtout de transition. Et pour cela, comme une évidence, la priorité, c'est l'apprentissage du français".

"Trois mois, c'est très court. Pour autant, nous avons voulu que ce ne soit pas un simple séjour d'attente. Nous avons souhaité en faire un sas de décompression et surtout de transition. Et pour cela, comme une évidence, la priorité, c'est l'apprentissage du français".

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